Année 517, mois 8, semaine 3
Horreur et Damnation.
Ce n'est là, ni une plainte, ni une ode à la fureur de l'obscure. C'est ainsi que les deux animaux avaient été nommé, presque avec ironie. Pourtant leur nom signait leur destin, tragique et sanglant, celui de deux frères animés par une bestialité insidieuse. Ils avaient vu le jour sur Maloran, plus d'un an et demi plus tôt. Il était difficile de croire que les deux mâles n'étaient encore qu'aux prémices de leur vie, qu'ils étaient encore des bébés tant leur nature inspirait la crainte. Horreur était le plus discret, plus petit que son frère mais plus trapu. Il l'avait l'art de jouer les mollasson, préférant de loin dormir aux pieds de la main Noire que de prétendre à être un vrai prédateur, pour cela, il ressemblait plus à son géniteur : Désespoir. Tel le jour et la nuit, Damnation était l'inverse, tout aussi discret cependant, sa nature penchait plus pour la chasse et son importante carrure comme son pelage d'ébène, avait vite fait de calmer les ardeurs des plus curieux, quant à son caractère, il était plus proche de sa mère, Rage, dont il était la magnifique réplique en miniature. Miniature était cependant un mot léger car si aux côtés de leurs parents les deux Tuk'atas faisaient pâle figure, ils n'en restaient pas moins deux animaux à la carrure impressionnante et dont les griffes et crocs féroces n'auraient laissé qu'une charpie du premier être vivantes qui seraient passés dans leur gueule. Ainsi étaient faits les deux frères, mélange doux et amer de la puissante obscurité, parfait exemple de ce que les sith avaient fait de plus fou dans la génétique liée à la puissance dévastatrice de la nature. Deux prédateurs, un destin tragique.
◈◈◈
Elle n'avait mis les pieds chez elle depuis près de deux jours, n'avait pas vu son père depuis bien plus longtemps et ne croisait son fiancé qu'à l'occasion. Entre l'emprisonnement, la rébellion, le procès, le travail dans son ensemble, le bébé... Anhesis commençait à se demander comment elle faisait pour tenir encore debout. Assise sur le canapé du salon, elle reste là, immobile à fixer le vide quand un soupir las la force à entrouvrir les lèvres. Elle était épuisée, elle se sentait seule. Lentement son visage se tourne, son regard glisse sur la décoration du salon puis l'exécutrice se laisse tomber sur le côté, sa tête s'enfonçant dans le coussin moelleux qui lui faisait office de support tout en tirant le plaid cotonneux pour se couvrir. Même pas la force d'aller jusqu'à la chambre, d'affronter ce lit trop grand et trop froid sans la présence du Zabrak débordé de travail depuis les excès de la rébellion, entre autres événements qui secouaient Maloran. Un battement de paupières, un second et la voilà qui se laisse engloutir par le sommeil.
Rongée par la fatigue, elle n'entend ni ne sent venir le danger. Face à son visage serein, une gueule luisante s'entrouvre, libérant un grognement sinistre et dévoile une rangée de crocs impressionnants. La bête renifle, renâcle, son haleine fétide et brûlante soufflant contre le ventre de la jeune mère en devenir. Juste là, dans un cocon bien au chaud, réside une vie qui aura bientôt plus d'importance que la sienne. Le féroce animal le sait et chaque jour sa conscience le rend de plus en plus nerveux, ses pensées sournoises se bousculent. Il est prêt à l'irréparable, chasser de son territoire cette créature minuscule et insidieuse qui accapare tant l'attention de ses maîtres. Alors que ses crocs luisent sous la pâle lumière du salon, sa gueule immense s'approche, lentement, vraiment lentement, prêt à se refermer de ce ventre fragile. Cela ne prendra qu'une seconde, tout juste le temps de lui briser la colonne vertébrale... Horreur n'a pourtant le temps de rien, dans l'ombre a surgi la masse, rapide furieuse qui vient de le faucher avec une sauvagerie sans pareil. Damnation l'a heurté, ses crocs se refermant sur la couenne de son frère alors que tous deux s'écroulent sur le sol, glissant sur le marbre noir et froid avant de heurter le meuble le plus proche.
Anhesis a ouvert les yeux, s'est redressé dans un mouvement de panique. Il lui faut bien quelques secondes avant de réaliser que personne n'est entré dans l'appartement et que ce ce sont ses deux monstres qui se battent férocement dans la pièce. Le mobilier se renverse, la table basse est fracassée, volant en éclat, les fauteuils sont bousculé, emporté par le poids et l'élan des deux bestioles dont les puissants grondements résonnent dans toute la pièce. Ils se dressent, balancent leurs griffes, se chique à coup de crocs. Le sang gicle entre deux couinements douloureux et elle, elle reste figée sans comprendre ce qui se passe.
« Arrêtez ! »Ordonne la femme la voix tremblante. En réalité, elle n'a ni l’autorité ni la sévérité suffisante en cet instant pour calmer ses monstrueux compagnons. Très vite elle se lève du canapé, glissant soudainement alors que ses pieds nus dérapent dans le sang qui entache le sol. Anhesis gémit, se vautrant sur le marbre avant de redresser le buste. Elle pousse un cri, se roulant en boule et protégeant sa tête entre les bras alors que les deux animaux se heurtent avec toujours plus de violence. Horreur vient juste de tomber près d'elle, bataillant douloureusement contre son frère. En réalité, il tente de lui échappé. Entre ses bras, le pâle visage de la sith observe l'ignoble spectacle. Sous ses yeux, Horreur couine de douleur, se traîne dans son propre sang alors que sa peau, ce cuir pourtant si dur, a été durement tailladé. Il respire mal, cherche un instant de répit mais c'est sans compter sur Damnation dont la massive carrure lui retombe dessus. Les griffes s'acharnent, le grondement sourd toujours plus menaçant tandis qu'il choppe son frère à la gorge, le réduisant soudainement au silence alors qu'il arrache la viande d'un coup de crocs. Le sang s'écoule, se répand comme une rivière. La lourde patte de l'animal presse le flanc de son frère au regard vitreux. Il n'est pourtant pas mort, Horreur respire encore mais au vu de son état, ce n'est plus qu'une question de temps avant que son trépas ne laisse un vide glacial dans les lieux.
« Qu'as-tu fait.... ? »Sanglote Anhesis qui s'est redressé sur les genoux, observant Damnation qui libère la pression sur son cadet. Sous le choc, la jeune femme tend une main tremblante vers son compagnon à l'agonie, sillons salés ruisselant sur ses joues cireuses. Damnation libère un dernier grognement, renâclant en secouant la tête et s'étale dans un coin du salon, venant lécher ses plaies sanglantes sans même un regard pour son frère mourant. Il n'éprouve ni pitié, ni angoisse alors que la sith s'est jeté sur la bête affaiblie, le traînant sur le marbre vers la sortie du salon. Le sang s'étale, trace de pas sur le marbre, elle patauge littéralement dedans. La peur la saisit jusqu'à l'âme alors qu'Anhesis frappe de la paume sur le bouton de l'ascenseur dont les portes s'ouvrent. Pour elle, c'est une urgence que de sauver son animal et il n'y a pas mille solutions pour cela et elle se trouve à l'étage du dessus...Elle sanglote, serrant la lourde tête de l'animal dans ses bras. Toujours vivant, Horreur halète, le regard vide. La fin n'est plus très loin mais Anhesis refuse de s'y résoudre alors qu'elle berce son compagnon, caressant son pelage ensanglanté et y enfoui son faciès.
« S'il te plaît... S'il te plaît ne meurs pas... »Le supplie-t-elle comme si Horreur pouvait simplement choisir de vivre. Alors quand l'ascenseur s'ouvre sur le hall du seigneur noir, Anhesis sort, manque de glisser puis tire à nouveau la tête, le hisse de toutes ses forces sur le sol.
« PAPA ! »S'égosille-t-elle dans un sanglot avant de retomber au sol, faisant un ultime effort pour tirer son chien agonisant.
« PAPA AIDE MOI ! PAPAAAAAAAAAAAAAA ! »Hurle Anhesis à pleins poumons alors qu'elle s'effondre sur son animal, à bout de souffle, à bout de forces. Ses pleurs sont déchirants, laissant des tracés humides sur le sang frais qui macule son faciès.