Notes personnelles. Lord Davoros est un maître exigeant et peu communicatif. Nous avons l’un envers l’autre une certaine distance. Celle du maître à l’élève, mais aussi le fossé séparant la fougue de la calme autorité. Je me surprends à sourire — quand bien même le souvenir est pénible — lorsque je me remémore le calme olympien avec lequel mon Maître a ordonné mon enfermement à l’intérieur des geôles dont il a le contrôle. J’ignore s’il est parfaitement indifférent à mon sort. Saisir ce type de personnalité est difficile. Néanmoins, j’apprécie cet homme, qui m’engage à parler sans détour et m’en laisse le temps. Son sang-froid a quelque chose de communicatif, et je ne me sens jamais plus prêt à avancer dans mes enseignements que lorsque je suis auprès de lui. Les nœuds complexes de l’esprit semblent se défaire avec une fluidité extraordinaire, sur le fil de ses mots. Je pense que ceux-ci trouvent du sens en moi car, si nous avons quelque chose en commun, c’est bien celui d’être deux intellectuels en puissance.— Notes de Lysander Vadith
Vadith opina. Il le savait parfaitement pour se l’être souvent entendu répété. Le fait de se projeter dans la potentialité d’une réussite ou d’un échec ne faisait qu’alimenter la difficulté de l’entreprise, en plus d’être source de frustrations, de colère ou encore de résignation. Pour la plupart en tout cas, car pour sa part, Lysander ne s’était jamais résigné à quoi que ce soit. C’était peut-être là, le cœur du problème. Il ne savait pas abandonner, comme il ne savait pas
s’abandonner. Et c’était, comprenait-il, ce que venait de lui expliquer son Maître.
L’Apprenti prit un instant pour méditer les paroles du Sith. Il en comprenait l’essence et, pourtant, il avait le sentiment que leur subtilité lui échappait encore, comme à la lecture d’une œuvre d’un auteur duquel il ne connaissait presque rien.
Son regard revint à son Maître lorsque celui-ci lui rappela le rôle de l’Académie. S’il était bien forcé d’admettre que Gaben avait raison, Lysander ne pouvait s’empêcher de penser le cadre de l’Académie trop rigide par bien des aspects. Certains enseignants Sith avaient pour grande passion de faire répéter, et répéter encore, des centaines et des centaines de fois s’il le fallait, le même exercice. Inlassablement. Jusqu’à ce qu’il soit maîtrisé à la perfection. Qui s’avisait de griller les étapes, ne serait-ce que par une légère adaptation ou improvisation, était soigneusement recadré. C’était, par exemple, le cas du Sith qui enseignait à Vadith l’art de déployer la Force pour établir un lien télépathique avec autrui. Il ne pouvait s’empêcher de voir la structure par le prisme de sa jeunesse : enfermante. Cependant, seul une légère tension apparaissant sur ses lèvres trahirent l’état d’esprit de l’Apprenti.
Une flamme embrasa le regard de Lysander lorsque le Lord se leva pour aborder la fameuse prochaine épreuve mentionnée quelques instants plus tôt. Intrigué, il suivit les mouvements de son Maître avec une attention curieuse, tandis que celui-ci s’emparait d’un livre posé sur son bureau habituellement impeccablement rangé.
Allait-il partager un enseignement secret avec lui, qui le mettrait à l’épreuve d’une quelconque manière ? Secret caché entre les pages du livre que Davoros ramenait maintenant à sa juste place ? Le regard attentif et perçant de Lysander captèrent avec une pointe de déception le terme « géopolitique » imprimé sur la couverture. Une déception qui fut bien vite oubliée lorsque Gaben Davoros parla de la planète Dantooine.
Lysander retint son souffle dès lors que son Maître parla de représentation Sith à la célébration officielle de l’entrée de Dantooine au sein de la République. Si Gaben lui parlait de cela, c’était certainement qu’ils allaient se rendre sur place. L’excitation qu’il ressentit en se projetant dans cette potentialité lui aurait presque fait louper la suite des propos de son Maître s’il n’avait pas fait un effort de concentration.
S’il tentait d’assimiler correctement ce que lui disait Davoros, toute son attitude trahissait la question qu’il se retenait de poser. Il n’osa pas briser le silence que laissa peser Gaben, figé dans un maintient excessivement rigide.
Son Maître avait proposé son nom au Conseil.
Le Conseil avait validé l’idée de l’envoyer. Lui. Lysander.
Incrédule, l’Apprenti regarda d’abord son Maître comme si celui-ci était en train de lui faire une mauvaise blague. Son casque lui glissa des doigts et il le rattrapa in extremis.
Des questions ? S’il avait des questions ? Un rire léger s’étrangla dans sa gorge lorsque, par pudeur, Lysander le retint.
« Seulement quelques centaines. » murmura-t-il d’une voix qui trahissait sa joie, malgré ses tentatives de demeurer imperturbable.
Doucement, comme pour se laisser le temps de reprendre ses esprits et canaliser l’excitation qu’il éprouvait à l’idée de quitter Malachor V, Vadith s’approcha du bureau et y posa soigneusement son masque. Enfin, il glissa sa main nouvellement libre devant sa bouche tandis qu’il réfléchissait.
« Je devrai privilégier une couverture susceptible de me tenir à l’écart de toute démonstration de force. J’imagine que l’ambiance de cette célébration sera bien éloignée de toute perspective d’affrontement, mais une enquête peut avoir des débouchées inattendues. Je devrai utiliser la Force seulement si nécessaire, et il me sera impossible de sortir mon sabre qui me compromettrait assurément. »Vadith marqua une pause pendant laquelle il croisa les bras.
« Combien de temps devrais-je rester en faction sur Dantooine ? Qui m’accompagnera ? »Certes, Lord Davoros n’avait pas parlé d’une quelconque escorte mais il s’imaginait, peut-être naïvement, ou peut-être parce que l’humilité commençait à être une notion qu’il intégrait, que le Conseil n’avait pas fait le choix de l’envoyer, lui, Lysander Vadith, seul sur une planète lointaine.