La réponse du Zabrak à propos des finances aurait pu faire pincer des lèvres l’Apprenti Vadith s’il n’avait pas, en ce moment, une parfaite maîtrise de lui-même et de son attitude. Montrer son désaccord ou la moindre marque qui pouvait être interprétée comme de l’insolence n’allait pas servir ses intérêts et, bien qu’il n’en pensait pas moins, il s’abstiendrait de dire qu’il n’avait, pour sa part, aucun droit ni devoir sur l’économie du centre pénitentiaire.
Pour l’heure, Darth Sanguis avait manifestement choisi de l’associer à son Maître. Ce n’était manifestement pas une bonne nouvelle, mais cela n’étonna pas plus Lysander. C’était certainement le premier d’une longue série. Si son nom venait à être, lui aussi, jeté en pâture à la communauté, nul doute qu’on lui prêterait les mêmes prétendus défauts qu’à Lord Dementis.
Une vague de colère l’irradia, mais il la repoussa, au moins aussi bien que la passion envahit subitement Eryndal.
Une passion qui emporta Darth Sanguis au-delà de toute attente. Le Zabrak parut soudain encore plus colossal qu’il ne l’était déjà. Une lueur d’inquiétude passa dans les yeux de Lysander, lorsqu’il vit l’ombre menaçante de la colère irradier les prunelles du Sith.
Si une part de lui comprenait la colère de la Main Noire, l’autre part se trouva totalement décontenancée face à l’explosion soudaine à laquelle il dû faire face.
Sa fierté, cette vaniteuse bravache, l’empêcha de reculer ne serait-ce que d’un pas lorsque, tout à coup, les dossiers s’envolèrent et la voix tonitruante du Zabrak heurtèrent les tympans de l’Apprenti. Ses doigts se serrèrent pourtant contre ses mains jointes et le pli de sa bouche s’allongea, crispé.
Qu’est-ce que c’était que ce discours. Lui reprochait-on de rapporter ce qu’il entendait ? Ce n’étaient-là que des faits, des faits auxquels Vadith ne pouvait apporter aucune justification.
Mais plus que la colère d’un Sith qui avait craint pour la santé de sa compagne et de son enfant à venir, c’était le discours que lui avait fait Eryndal à propos de la société de Maloran qui avait le plus heurté les oreilles de Lysander, quand bien même il ne l’avait pas hurlé, celui-là.
Une société juste. C’était cela, le but de Maloran ? Le regard baissé sur ses bottes, Lysander se remémora sa petite enfance. En esclave. Quelle justice ? À l’heure actuelle, ses propres parents trimaient sous les coups de leur Maître. À moins qu’ils ne soient morts, depuis le temps. Vadith n’en avait aucune idée, il n’avait jamais repris le moindre contact avec eux. Pour la simple et bonne raison qu’on lui avait fait ressentir, depuis toujours, ses ascendances comme honteuses. Parce que tout était bon, entre Acolytes, pour rabaisser, dépasser, écraser celui qui était autrefois un camarade, et qui était devenu un rival à abattre. Parce qu’il était un survivant. Parce que le monde était cruel, et parce que cette société florissante était gangrénée par les guerres intestines, qu’on avait à cœur de faire éclore dès l’âge le plus tendre. C’était une situation dont Vadith s’accordait, quand bien même les rancœurs qu’il conservait du temps où il était Acolyte avaient tendance à le fatiguer plus qu’à l’animer comme à cette époque. Mais, pour quelqu’un qui était passé sans transition du statut d’esclave à celui de Sith en devenir, ne pas sourciller lorsqu’on lui parlait de société juste relevait du défi. Maloran la superbe était érigée sur les ossements des premiers esclaves, lesquels avaient été autrefois des êtres libres arrachés à leur planète d’origine, pour être enfermés à tout jamais sur une planète inhospitalière, privés de la vision des étoiles. Vadith, pour sa part, n’avait aucune complaisance vis-à-vis de la réalité de la cité Sith. Pour autant, il n’avait aucun problème avec la dureté de cette réalité.
Pouvait-il se permettre de le rétorquer à la Main Noire, de lui rappeler qu’il se souvenait très bien de ce que signifiait être esclave à Maloran quand bien même il avait été arraché très tôt à sa famille ? Que cette ascendance marquait encore au fer rouge sa personnalité et ses ambitions ? Il n’y avait pas plus basse extraction que la sienne. C’était ce qui le motivait d’autant plus à se distinguer.
Quant aux citoyens de Maloran, ils avaient manifestement le beau rôle. On n’attendait peut-être pas même d’eux la moindre compétence dans leur office, ne put-il s’empêcher de penser avec mauvaise foi. Pour autant, les citoyens n’étaient pas des brebis sans défense, quand bien même l’absence d’armement plaçait indubitablement la population sous la coupelle des Sith. Malgré l’absence de blaster, malgré les lois et le Triumvirat, le bon peuple trouvait des biais détournés pour commettre des actes assez atroces pour finir dans les arènes du District 5.
Rien n’excusait qu’on exécute trois gardes incompétents plutôt qu’on envoie aux arènes ceux qui avaient passé Lord Canem à tabac. Pour autant, Lysander comprenait mieux l’idée que les citoyens aient des devoirs envers leur cité et envers ceux qui leur offrait protection, et avenir, que l'idée qu'extraits de leur condition d'esclaves, ils n'avaient plus rien à donner aux Sith.
Aussi se trouvait-il partagé entre la honte, lui brûlant le ventre à se voir maculé par la faute de Davoros, et l’incrédulité face à la ferveur de la Main Noire. Une poignée de secondes s’écoula, infiniment longue tant le silence paraissait lourd après l’éclat du Zabrak.
« Je ne fais que traduire ce que je sais, Darth Sanguis. Je cherche à comprendre une situation qui me dépasse, car je n’imaginais pas Lord Dementis capable d’un jour contrevenir aux lois de la cité. Il est le premier à me rappeler mes devoirs et à mettre à l’épreuve ma loyauté envers notre Seigneur Daleth. » murmura sagement Lysander tandis qu’un document tombait mollement à ses pieds, dans un petit soupir délicat de papier. « Je ne vous exprime pas mon avis, mais ce que j’ai perçu de mes derniers passages au centre. Mon Maître pense que chacun doit contribuer, selon sa position et selon ses moyens, au bien de la cité. Il a refusé de m’expliquer les raisons de son geste, comme il n’a pas souhaité répondre lorsque je lui ai demandé ce qu’il s’est passé ce jour-là. Alors, tout ce que je sais, c’est que les gardiens ne se sentent pas traités à leur juste valeur. Pour le reste, je ne peux faire que des suppositions qui n’ont donc pas la moindre valeur. Cependant, il y a peut-être des questions que vous aimeriez me poser, en tant qu’Apprenti de Lord Dementis. Je souhaite coopérer dans cette enquête, car j’espère moi aussi faire le jour sur ce qui s’est produit ce jour-là. »
Se taisant, Lysander quitta du regard Eryndal pour observer une feuille tanguer sur le rebord du bureau. Elle semblait hésiter entre rester à sa place et plonger à corps perdu vers le sol, peut-être elle aussi impressionnée par la colère qui exsudait encore de son propriétaire. L’instant d’après, l'Apprenti s’était ressaisit, observant fixement dans les yeux la Main Noire, le dos droit et le menton légèrement relevé.
Il ne perdrait pas son aplomb, pas même si c’était sa tête qui menaçait de voler à la suite des affaires d’Eryndal. Il éprouvait assez de honte comme ça, inutile de s’ajouter celle de trembler pour des fautes qui n’étaient pas les siennes. L’aigreur de l’injustice macérait dans sa bouche comme un relent de pitance mal digérée. Lui aussi, avait envie d’exploser, mais il refusait de dévoiler aussi clairement ses émotions face à un Sith qui avait certainement la position de décider de son destin.